La jalousie entre fratrie

14 Déc

La jalousie entre fratrie n’est pas une invention nouvelle ; l’on se souviendra du très ancien récit biblique qui relatait comment Caïn, jaloux de la préférence de Dieu quant à son offrande, tua son frère Abel. Quoiqu’il en soit, cette compétition crée des malaises pour bien des parents qui se trouvent impuissants devant les combats plus ou moins manifestes de leur progéniture. Ceci étant, plusieurs tenteront de diminuer un tant soit peu cette opposition, en se basant sur la prémisse que le développement harmonieux des enfants doit nécessairement se faire…dans l’harmonie ! Pourtant, la rivalité entre fratrie revêt des fonctions bien utiles. 

La famille constitue la première unité sociale dans laquelle évolue l’individu ; elle représente une microsociété qui permet à l’enfant de développer et de mettre à l’épreuve un répertoire de comportements, d’attitudes et de façons d’être. Les rétroactions (positives ou négatives) provenant des autres membres de la famille permettent à l’enfant de s’ajuster ou de modifier ses façons de faire. Ainsi, lorsqu’un enfant entre en compétition avec son frère ou sa sœur, il « teste » en fait ses forces et ses limites de la même façon qu’il sera appelé à le faire avec des individus qui ponctueront son chemin dans le cours de sa vie. Cette rivalité entre personnes d’âge et de statut similaire, par opposition à celle qui existe entre un enfant et son parent, permet de développer des stratégies pour faire face à la confrontation et identifier ses forces et faiblesses personnelles.

La jalousie est en fait le sentiment qui découle d’une menace à l’amour-propre ; p.ex., si je perçois que ma mère préfère mon frère à moi, c’est mon amour-propre qui est blessé. Le fait de vivre de la jalousie ou d’être secoué dans son amour propre peut conduire l’enfant à adopter des comportements proactifs ; il redoublera alors d’efforts pour « surpasser » le rival, pour devenir meilleur, ce qui en soit peut être une source de motivation menant à de grandes réussites. Il peut également préférer s’engager dans une activité autre, de sorte à éviter la confrontation ; ce phénomène s’observe très souvent dans les familles où les enfants développent des intérêts et des talents diamétralement opposés, leur laissant ainsi tout l’espace nécessaire à la réalisation de leur potentiel sans subir de comparaison. 

La rivalité se manifeste parfois de façon implicite, insinueuse, cachée ; la mine déconfite de l’enfant qui n’a rien remporté alors que son frère est sur le podium, le regard lancé furtivement lorsque la petite sœur se blottit encore dans les bras ou le bulletin laissé négligemment sur la table sans félicitations recherchées. Il peut être tentant, pour un parent, de vouloir préserver son enfant jaloux en diminuant l’ampleur des félicitations ou des marques d’affection à l’autre. Mais est-ce vraiment un service à lui rendre ? Il serait peut-être plus approprié de souligner les grandes forces qui résident dans ses propres compétences, différentes peut-être mais tout autant enviables.

Lorsque la rivalité se manifeste au contraire de façon ouverte, par des disputes et des échanges verbaux coriaces, plusieurs parents auront alors tendance à intervenir pour rétablir l’équilibre. Mais puisque ces confrontations sont justement l’occasion de développer ses aptitudes de négociation et de résolutions de problèmes, il convient de laisser aller… dans la limite de l’acceptable. Et où se trouve cette limite ? Des données américaines (Strauss et al.,1980) indiquent que 82 % des enfants âgés de 3 à 17 ans ont eu recours à la violence physique envers un ou plusieurs membres de leur fratrie au cours de la dernière année.  Bien que ce phénomène soit courant et répandu, il ne devrait pas pour autant être toléré. Quant à la violence verbale, les recherches rapportent qu’elle est très difficile à évaluer puisque la fréquence, les formes et les manifestations diffèrent au sein des familles. 

Alors, quand et comment intervenir ? Le « arrangez-vous tout seul » peut parfois être utile si l’on considère que les enfants disposent des ressources internes nécessaires pour régler eux-mêmes leurs difficultés. Cependant, au-delà de la recherche d’un jugement permettant de « trancher », les enfants solliciteront souvent l’aide des adultes parce qu’ils se sentent dans une impasse et ne trouvent plus par eux-mêmes de solutions. Par ailleurs, l’extrême ingérence, sans possibilité de participation de la part des antagonistes, est normalement à proscrire sauf si la situation atteint un niveau tel qu’elle implique des agressions physiques ou verbales. Le mieux reste donc de se montrer disponible pour venir en support aux résolutions de conflits, tel un médiateur qui entend chaque partie sans tenter de trouver le coupable et qui fait circuler l’information entre les individus pour qu’ils génèrent par eux-mêmes la meilleure des solutions.

 

Ariane Hébert, psychologue