Tu me déçois. Je sais, c’est lourd comme affirmation, mais c’est tellement ressenti que je ne peux pas m’empêcher de te le dire, même si ça te blesse probablement.
Tu es une bonne personne au fond ; je le sais, je t’ai tricoté. Je connais d’ailleurs toutes les raisons qui font que ton cerveau immature, inconscient du danger, invincible en perception et en recherche d’excitation constante te fait croire que la situation n’est pas si épouvantable que ça. N’en demeure pas moins que quand tu agis comme tu le fais, en côtoyant des amis, en vaquant à tes occupations comme si les choses étaient normales ou presque et en priorisant ton nombril, j’ai l’impression que tu nous laisses tomber. Tu te fous de nous ou quoi ? Même si tu n’as qu’une infime chance de contracter le virus (et non, je ne m’obstinerai pas avec toi à grand coup de statistiques), explique-moi au juste les raisons qui font que tu es prêt à le prendre, ce risque ? Parce que de notre côté, j’ai vraiment l’impression que nous avons tout fait pour toi. Bien au-delà du COVID-19, nous avons toujours mis tes besoins et tes désirs en priorités. Évidemment, c’est dans l’ordre des choses¸ ça va de soi ; les plus vieux prennent soin des plus jeunes, qui à leur tour, prendront soin éventuellement de la prochaine génération. Super, rien à redire sur ce principe. Sauf que… quand passer une soirée avec ta gang, au risque de mettre en danger ceux qui te chérissent plus que tout au monde devient ta priorité, j’avoue que j’ai l’impression de faire rire de moi.
Toi, tu ne le vois pas comme ça. Toi, tu penses que j’exagère, comme ceux de ma génération, que je « capote » un peu et que, bien entendu, tu ne te places pas dans une situation à risque. Eh bien, laisse-moi t’affirmer avec grande conviction l’énoncé suivant ; dans 100% des cas, les gens qui ont attrapé le Corona virus ont cru, à un moment (probablement au tout début de la maladie), ne pas l’avoir. Si ce foutu mal arrivait avec une affiche fluorescente dans le cou et un bruit de tintamarre, je suis convaincue que tu te sauverais en sens contraire ; t’es pas fou quand même ! Mais voilà, ce n’est pas tout à fait comme ça qu’il se présente, alors ça te donne l’occasion de fermer les yeux et faire comme si ça n’existait pas – enfin, pas pour ta gang ni toi…
Tu roules les yeux au ciel quand tu entends parler de distanciation sociale. Pire, ta lèvre inférieure tremble comme si ta vie allait s’arrêter. Vraiment ? Des milliers de gens sont privés de revenus, des entreprises coulent comme des radeaux de brindilles, des personnes vulnérables sont privées de services essentiels à leur bien-être et j’en passe. Toi, tu ne peux pas physiquement être avec tes chums. Dieu merci, les réseaux sociaux sont encore accessibles, sans limites de data en plus ! Serait-ce insolent de ma part si j’osais te dire « Tu me fu*** niaises? »
Au fond de moi, je n’ai jamais été inquiète de l’adulte et du citoyen que tu allais devenir. Je t’ai vu grandir, évoluer, déployer une multitude de qualités et de ressources que je n’avais même pas soupçonnées, en plus de toutes celles que je connaissais déjà chez toi. C’est la première fois où je suis profondément ébranlé par ton attitude. Je t’en supplie, prouve-moi que j’ai tort de m’inquiéter.